Le pré-inventaire architectural du Thor : un premier outil de connaissance de l’histoire d’un territoire et de gestion du patrimoine Les représentations de l’architecture d’époque moderne (XVIIe-XVIIIe siècles)
Nelly Duverger, attachée de conservation du patrimoine, Direction du patrimoine de L’Isle-sur-la-Sorgue
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Sur le territoire extérieur, une architecture de la fin de la période moderne est bien représentée par plusieurs demeures aristocratiques caractéristiques du XVIIIe siècle : bâtisse possédant souvent deux étages supérieurs, aux façades ordonnancées, rythmées par plusieurs travées de grandes fenêtres en pierre de taille à linteau cintré et par un portail ouvragé. Dans le secteur sud de la commune, les exemples les plus éloquents sont l’ancienne demeure du château Saint-Martin et celle de la propriété Y. Hallard (Fig. 8), et dans la partie nord le domaine « Méjean» 32. Les mas qui parsèment le territoire rural se datent plus difficilement par leurs façades, car beaucoup ont subi des réfections radicales au cours des XIXe et XXe siècles.
La majorité de ceux construits en tapy se répartissent au nord de la commune et généralement leur architecture plus modeste rend leurs datations plus incertaines 33. Sur l’ancien site de Germignargues, l’un des bâtiments présente une porte d’entrée bordée d’un encadrement mouluré du XVIIe siècle, surmonté d’un linteau à crossettes. Toutefois, les grandes proportions du bâtiment et son emplacement laissent envisager une origine plus ancienne 34. Cela s’applique aussi au « domaine de la Giride », installée à la base du versant nord de la colline de Thouzon, où une ferme fortifiée appartenait à la famille De Giry au XVIIIe siècle 35. La propriété prend la forme de plusieurs corps de bâtiment organisés autour d’un espace ouvert, entièrement ceinturé par une muraille défensive. En partie supérieure, ce mur comporte une série de créneaux dont les intervalles ont été comblés a posteriori 36(Fig. 9). Les vestiges apparents ne précédent pas la fin de la période moderne, mais la disposition de l’ensemble et sa situation isolée en contrebas du monastère de Thouzon vont dans le sens d’une occupation préexistante, peut-être liée à la présence d’une ferme vouée à l’exploitation des terres domaniales. À l’appui de ce postulat s’observent à la base d’autres versants de la colline deux propriétés de configuration semblable 37. En zone urbaine, le nombre de constructions d’époque moderne est assez important, mais celles qui conservent leur physionomie et leur façade d’origine sont légèrement moindres que dans d’autres villes ou villages provençaux (Velleron, Sarrians, Pernes, etc.). Cela s’explique par l’essor économique de la ville à partir du XIXe siècle et un enrichissement de ses habitants, dont beaucoup ont entrepris des réfections complètes de façade dans un style nouveau. Plusieurs bâtiments témoignent néanmoins des grandes typologies d’architecture qui ont jalonné la période moderne. L’une des façades les plus remarquables remonte au XVIIe siècle et se retrouve enclavée au fond de l’impasse des Églantines qui débouche sur la rue de la République (Fig. 10). Elle borde un ancien hôtel particulier ayant appartenu à la famille De Guast. Les remembrements postérieurs du tissu urbain ne permettent plus d’estimer l’emprise réelle de la propriété, dont l’un des corps de bâtiment résidentiel englobait les parcelles AC 941, 939 et 210. En façade, se développe un opulent décor en gypserie qui débute par un fronton à volutes et se poursuit jusqu’à une corniche enrichie de petits motifs végétaux. Le décor se concentre sur l’encadrement des fenêtres, où l’un des cartouches comporte les initiales « DG » de la famille commanditaire. Malheureusement, une partie du mur a subi un ravalement complet au XIXe-XXe siècle et le décor en plâtre ne s’y limite plus qu’à d’infimes traces. L’ensemble se classe cependant dans la lignée des réalisations destinées à afficher publiquement le rang des propriétaires. Un autre hôtel particulier du XVIIe siècle répond d’un choix architectural très différent. Il débute dans la rue de Verdelin où se regroupent deux corps de bâtiment disposés perpendiculairement autour d’une cour centrale 38. L’ancien bâtiment résidentiel s’étend en cœur d’îlot et ses façades sont rythmées par de grandes ouvertures à encadrement en pierre de taille mouluré, décoré de crossettes. Dans l’angle de sa couverture dépasse un admirable arêtier en bois sculpté de la charpente d’origine. Un autre exemple de ce type se remarque dans une propriété installée plus à l’ouest de la rue de Verdelin mais, ici, une réfection des façades de la bâtisse ne laisse plus paraître d’autre élément ancien 39. En revanche, du côté de la façade latérale sud, un pan de couverture à voliges et chevrons apparents comporte un arêtier à figure de personnage sculpté assez exceptionnel (Fig. 11). Il suppose, à la fois, la conservation de la charpente d'origine et le potentiel archéologique que le bâtiment est susceptible de présenter (plafond, décor, escalier?). Un troisième exemple est visible à proximité de l’hôpital, mais celui-ci est moins significatif car l’arêtier est tronqué de son extrémité 40. Il dépasse de la toiture à chevrons débordants d’un corps de bâtiment rattaché à un petit hôtel particulier du XVIe-XVIIe siècle. L’accès à sa cour intérieure se faisait par une porte en pierre de taille moulurée, décorée d’un arc en plein-cintre et d’une imposte. Ces quelques éléments peuvent signifier que d’autres vestiges sont présents sous l’enduit des façades et à l’intérieur. De même, un escalier d’origine subsiste peut-être à la jonction des bâtiments, où une partie de la cour est grevée par un agrandissement plus récent. Pour illustrer un type d’architecture publique de la fin de la période moderne, le bâtiment est plus évocateur par son histoire que par son style qui ne se différencie pas d’autres réalisations à usage privé. Il s’agit de l’ancien Hôtel de Ville, situé sur le flanc ouest de la place J. Grillet, où la présence des consuls est attestée dès le début du XVIIe siècle (Fig. 12) 41. Au cours d’importants travaux réalisés au XVIIIe siècle, sa façade principale a été ordonnancée en quatre travées de fenêtres à appui mouluré et linteau cintré. Certains aménagements intérieurs datent aussi du XVIIIe siècle (plafond à la française, huisseries Louis XV de la salle d’apparat du premier étage), et seule la base d’un escalier en pierre de taille monumental remonte au XVIIe-XVIIIe siècle (transformé au XXe s.). La deuxième catégorie est celle des hôtels particuliers de la fin de la période moderne, qui découlent directement d’une évolution de la résidence urbaine de type aristocratique ou bourgeois qui commence à voir le jour vers la fin du Moyen Âge. Ces ensembles se composent majoritairement de plusieurs corps de bâtiment organisés autour d’une cour intérieure et leur architecture plus ouverte se tourne vers l’espace public. Plusieurs propriétés de ce type occupent différents quartiers de la ville, mais la plupart ont été démembrées et restructurées après la période révolutionnaire. Beaucoup ne se remarquent plus que par un grand portail d’entrée architecturé 42, ou par des façades affectées par des remaniements postérieurs 43. Quelques-uns ont gardé une intégrité apparente, comme celui de la rue Raspail 44, et plus nombreux sont ceux qui ne se décèlent plus qu’à travers de petits éléments architecturaux ou par l’ordonnance de leur façade aux ouvertures remaniées aux XIXe et XXe siècles 45. Deux autres catégories sont encore représentatives de la fin de la période moderne. L’architecture monumentale, dont l’unique exemple s’illustre par le corps de bâtiment le plus ancien de l’Hôtel Dieu (Fig. 13) 46, et l’architecture domestique de type plus modeste que l’on rencontre fréquemment sur les petits immeubles épargnés par les modifications du XIXe siècle. Certaines façades gardent toute leur authenticité 47 et d’autres plus remaniées peuvent aisément la retrouver par le biais de réfections appropriées 48. La dernière est celle de l’architecture religieuse. Plusieurs édifices ont vu le jour pendant la période moderne, dont deux chapelles de pénitents noirs et blancs à l’intérieur de l’enceinte urbaine, dans un même quartier localisé à proximité du château. Celles-ci ont disparu dans la première moitié du XXe siècle, suite à des travaux d’élargissement de la voirie. La chapelle Saint-Roch fut bâtie en 1639 en zone sud périurbaine et depuis sa destruction au XXe siècle, un calvaire en symbolise l’emplacement 49. D’autres édifices parsemaient le territoire extérieur, mais hormis les deux églises de Thouzon d’origine plus ancienne, tous ont disparu et leur localisation ne se perçoit plus qu’à travers le toponyme actuel de certains quartiers : Saint-Michel, Saint-Sébastien, Saint-Jean, etc. 50 Le seul exemple conservé est la chapelle de l’ancien couvent dominicain fondé vers 1637 par le Père Antoine Le Quie (1601-1676) 51. L’église transformée en habitation est environnée d’un vaste jardin qui correspond certainement à l’enclos conventuel 52. Elle adoptait un plan rectangulaire divisé en quatre travées et la première située à l’extrémité ouest servait d’espace sacré (absence de chevet). Deux fenêtres en pierre de taille à linteau cintré, destinées à l’éclairer, subsistent en partie haute du mur occidental. La structure générale du bâtiment n’est pas trop perturbée et son volume initial globalement conservé. Sa façade principale abrite une petite niche sculptée (avec statue de la vierge) et les vestiges d’un portail mouluré qui ouvrait à l’est, en direction de la ville (Fig. 14). Un oculus éclairait la partie haute de l’église où pouvait se déployer un voûtement intérieur. Son élévation en pierre de taille comporte de nombreuses marques lapidaires, car les matériaux auraient été récupérés après la destruction de l’église médiévale de Saint-Pierre-es-Liens 53. Les bâtiments attenants, précédemment consacrés aux communs, sont affectés par des restructurations plus importantes, mais des ouvertures obturées du XVIIe siècle apparaissent encore sur certaines de leurs façades, et un passage autrefois voûté désigne probablement l’entrée principale du couvent. | |
32 Propriété de Y Hallard (parcelles AO 0030, 0031, 0018 et 0271), domaine Saint-Martin (parcelles AN 0058, 0059, 0061 et 0064), et le domaine Méjean (parcelle BD 0100). 33 Le temps imparti à ce travail d’inventaire n’autorisait pas de visites exhaustives des bâtiments. Certaines l’ont été et parfois la présence de vestiges intérieurs permet d’affiner leur chronologie. Pour exemple, l’une des constructions du « domaine de Château-bois », localisé vers la pointe nord-est de la commune, vers le quartier de Monclar, renferme une imposante cheminée en pierre de taille de la fin du XVIIe siècle et un four domestique (parcelles D 0458, 0486 et 0546 à 0549). 34 Parcelles BX 036, 039 et 040. Une étude archéologique du bâtiment permettrait de le vérifier. 35 Parcelles B 0553 et 0525. 36 Durant la restauration, les propriétaires actuels ont mis au jour un four couvert par une coupole en pierre de taille et les restes d’un pigeonnier. 37 Au sud, la « ferme de la Poule » (parcelle BE 0067) se regroupe aussi autour d’une cour intérieure. Sa réfection récente ne permet pas de remonter au-delà de la période moderne par une simple observation extérieure, mais des découvertes fortuites réalisées dans un champ voisin renvoient à une occupation médiévale de la zone. La seconde propriété se situe à l’ouest où la « ferme Bourget » s’articule autour d’un grand espace clôturé, à l’angle duquel s’élève une tourelle de pigeonnier (parcelle BE 0044). Parmi les éléments datables aucun n’est antérieur au XVIIIe-XIXe siècle, mais la configuration de l’ensemble fait à nouveau penser à la préexistence d’une ferme fortifiée. 38 Parcelle AC 198. 39 Parcelle AC 148. 40 Parcelles AC 154 et 155. 41 Parcelle AC 201. 42 Parcelles AC 659 sur la place de l’Église et AC 790 dans la rue Mallemayon. 43 Parcelle AC 898, dans la rue P. Goujon. 44 Parcelles 373 et 674 dans la rue Raspail. 45 Parcelle 893 dans la rue Raspail. 46 Parcelle AC 592, le long du côté sud de la rue de Verdelin. 47 Parcelle AC 855 dans la rue de la Boucherie. 48 Parcelle AC 217 dans la rue de la République. 49 Parcelle AD 115. 50 BAILLY (R.).- Le Thor, 9 siècles d’histoire, op. cit. p. 120-129. 51 Parcelles AD 10, 207 et 208, route de Saint-Saturnin-lès-Avignon. 52 Parcelles 207 et 208. 53 D’autres pierres de même facture se remarquent également à l’intérieur (ROUSSET (A.).- Monographie des villes et villages de France, Histoire de la ville et de la baronnie du Thor. Op. cit.). |
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