« Patrimoine et paysages en tant que valeurs humaines »
Pierre sèche, la tradition au service des terroirs durables |
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Symposium scientifique de l’ICOMOS 10 – 14 novembre 2014, Florence, Italie Claire CORNU architecte-urbaniste, ICOMOS FRA 14320, ICOMOS ISC-stone Fédération française des professionnels de la pierre sèche (FFPPS) Tél.+33 4 90 80 65 61 c.cornu@cmar-paca.fr www.professionnels-pierre-seche.com 35 rue Joseph Vernet – BP 40208 – 84009 AVIGNON Cedex 1 - FRANCE Administratrice de la Société scientifique internationale pluridisciplinaire pour la pierre sèche (SPS) Michelangelo DRAGONE architecte, ICOMOS ITA 735 LAPIS - Laboratorio Culturale del Paesaggio della Pietra a Secco Tél.+39 08 04 32 31 54 m.dragone@gmail.com Via G. Giusti, 32/34 – ALBEROBELLO (BA) –70011 – ITALIE Président de la Société scientifique internationale pluridisciplinaire pour la pierre sèche (SPS) Pour figurer sur la liste du patrimoine mondial, un site doit avoir une valeur universelle exceptionnelle. Ainsi les grands sites de terrasses de culture sont-ils à l’honneur. Cependant, à y regarder de plus près, certains ont remplacé la maçonnerie en pierre sèche qui préexistaient. Parce qu’elle a la conviction que la pierre sèche est un choix d’avenir, la Société scientifique internationale pluridisciplinaire pour la pierre sèche (SPS) met expertise et passion à disposition pour que soit exigé le maintien de la vraie pierre sèche dans les politiques de protection ou d’aménagement des paysages. Une ressource locale : la pierre et les hommes La compréhension d’un lieu par l’observation - des végétaux préexistant, des reliefs, des vents dominants, de l’ensoleillement selon les saisons et selon les masques autour de lui, également la pluviométrie - a conduit l’homme à façonner un terroir vivrier toujours cohérent avec ses capacités. En effet, tout en cherchant à répondre à ses besoins, il a su user de ressources avec parcimonie et ingéniosité. Gérer la ressource en eau, en terre, en pierre, en bois mais aussi organiser l’espace, dans l’objectif d’obtenir une terre à cultiver ou des terres d’élevage. La technique à pierre sèche permet tout cela. Les paysages qu’elle produit sont particulièrement plaisants, apaisants ou spectaculaires selon les dénivelés, et c’est pourquoi ils sont aujourd’hui mentionnés comme authentiques et leur pouvoir attractif est-il touristiquement marchand. La pierre sèche est partout où la géologie et la géographie des lieux l’imposent en tant que matériau local à portée de main. Elle répond tant aux préoccupations viticoles et pastorales, qu’aux préoccupations environnementales. Autant de vecteurs favorables à une pratique durable et vertueuse pour nos campagnes. Une pratique locale : la pierre sèche est ancestrale, universelle et durable Si le système constructif à pierre sèche est indéniablement une pratique universelle et intemporelle, en vérité, la révolution des techniques du XXème siècle est responsable d’une mutation radicale. Dès lors, la pierre sèche subie une image négative qui la pénalise encore trop à ce jour. Elle est cataloguée d’obsolète, de trop fragile, de trop chère. Progressivement, en quelques décennies seulement les savoirs se sont taris. Mais comme elle est séduisante, elle est reproduite autrement : béton, enrochement, gabion (cage paraléllipédique de fer remplie de pierres en vrac) ont définitivement eu raison de notre patrimoine routier en pierre ou pierre sèche, même les routes les plus touristiques subissent ces outrages. Allègrement répandus, ces choix mettent au rebut ce patrimoine matériel et marquent une rupture dans la transmission de ce patrimoine immatériel. Certes, moins onéreux à l’investissement, plus rapide à la mise en œuvre, le parpaing de béton industrialisé a rendu de multiples services. Néanmoins, dès lors que le béton est habillé d’un parement pierre, les coûts se rapprochent et de toute évidence les profils des murs sont alors trop minces, trop verticaux, trop raides et l’effet originel est perdu, le charme du lieu est édulcoré. Par ailleurs, c’est uniquement dans les cas où le chantier est inaccessible aux engins de chantiers, en haute montagne par exemple, que la vraie pierre sèche, celle qui ne nécessite que quelques outils en poche et beaucoup de savoir-faire, devient la solution : héliporter les hommes est moins prohibitif qu’assurer un va et vient constant de matériels et de matériaux. Sans compter que la vraie pierre sèche fait preuve d’une durée de vie bien plus performante et d’une analyse du cycle de vie (ACV) très pertinente. Constat non négligeable, les barbacanes d’un mur conventionnel s’obstruent plus vite que les vides d’un mur en pierre sèche. Cela fragilise considérablement l’ouvrage qui peut rompre sans prévenir, alors qu’un mur en pierre sèche se déformera et l’apparition d’un ventre saura inquiéter. Faire plus vite et moins cher, sans discernement, peut s’avérer être une vision lucrative à très court terme. La Pierre Sèche est une technique tout à la fois ancestrale et innovante car elle engage les 3 piliers du Développement Durable : socio-économique, culturel, environnemental. La Pierre Sèche ne touche pas, ou peu, le secteur de l’habitation, hormis qu’elle participe à l'émergence des matériaux premiers (pierre, terre crue) et bio sourcés (bois - chanvre - paille de riz, de lavande, de seigle, de blé...) réapparus depuis peu avec cette notion d’écoconstruction, qualifiée d’innovante (et observées de près par les industriels à l’affût de « greenwashing » !). Finalement, n’est-ce pas simplement renouer avec des techniques oubliées sur lesquelles on pose un regard neuf et tout plein de calculs que l’on nomme approche de performances énergétiques ? La Pierre Sèche construit les espaces d’accompagnement du bâti (clôture, jardin en terrasses, rampe, calade, plateforme…). Un rôle notable : la pierre sèche entretient les qualités des paysages qu’elle a façonnés Spontanément, l’homme a cherché à valoriser les coteaux les mieux exposés au soleil. Pour en faciliter l’usage, il a du les modeler. Quoi de plus cohérent que de recourir à la pierre d’épierrement ? Le phénomène est spectaculaire notamment dans le Valais, en Suisse, où pour maintenir des terrasses viticoles dans une forte déclivité, la technique de pierre sèche est encore bien présente. Sur l’adret, la pierre accumule la chaleur du soleil pendant le jour. Le décalage consécutif à l’inertie des pierres va faire en sorte que cette chaleur se diffusera pendant la nuit, créant un micro climat propice au bien-être des pieds de vigne. L’humidité dans l’épaisseur des murs et les anfractuosités entre les pierres sont très appréciées par une faune et une flore qui s’y abritent et cet écosystème équilibre le milieu. L’absence de liant entre les pierres et la présence d’un drain à l’arrière des murs de soutènement, contribuent à lutter contre l’érosion des terres. En effet, par fortes pluies, non seulement l’aménagement des pentes en escalier permet de ralentir le ruissellement rapide et sert de bassin de rétention - l’eau a le temps de s’infiltrer sur chacune des banquettes – mais encore les interstices sur toute la surface du mur et dans toute son épaisseur, sont autant de mini barbacanes qui rejettent l’excès d’eau. La mutation des pratiques, modernité ou impasse ? Les systèmes constructifs conventionnels qui prennent place, nient le patrimoine, appauvrissent la biodiversité, leurs barbacanes s’obstruent et lorsqu’ils cèdent sous la pression de l’eau, aucune pierre n’est récupérable tant elle est enrobée de ciment. L’évacuation des gravats pose plusieurs autres inconvénients, qui pèsent sur la problématique mondiale des déchets. A cette fonction essentielle de drainage, s’ajoute à la pierre sèche les fonctions de protection : - seuils en pierre sèche dans les fonds de talwegs en montagne pour lutter contre l’érosion liée à la fonte des neiges ; - perrés des rives de lacs contre le ressac et perrés des berges des cours d’eau contre les périodes torrentielles - qui sinon arracheraient la terre des champs riverains et racleraient le sol jusqu’à la roche mère ; D’où l’intérêt des techniques ancestrales pour gérer les débits et préserver la terre ! - pare avalanche en forme de proue de navire pour écarter les coulées de neiges et de boues des chalets de montagne ; - pare éboulis en travers des couloirs, lesquels servent à tracer les chemins de randonnées en montagne. D’où l’intérêt des techniques ancestrales pour diminuer les conséquences de catastrophes naturelles ! D’autres terroirs reviennent progressivement vers cette technique traditionnelle car ils acquièrent la conviction que ces ouvrages en pierre sèche participent non seulement à l’harmonie du patrimoine paysager - l’œuvre paysagère est la fierté des hommes et la clé marketing du terroir - mais également à la qualité sanitaire et gustative des cultures. Notamment, ce complexe terre/pierre/climat confère toute sa typicité au vin. C’est pourquoi, certains territoires investissent dans la formation d’équipes d’entretien. Tel est le cas du Grand Site de France Solutré, Pouilly, Vergisson en Bourgogne et des Domaines Schlumberger en Alsace. Maintenir les ouvrages en pierre sèche, voire les multiplier, c’est bénéficier ainsi de valeurs qu’aucun autre système constructif ne parvient à cumuler. Qui plus est, certains agronomes ont pu constater combien négliger l’entretien des murs, ou avoir recours au béton, non seulement finissait par heurter l’identité du paysage qu’avaient façonné à grand peine leurs ancêtres, mais qu’à l’usage, les ouvrages étaient moins efficaces, moins pérennes et que certains prédateurs de vignes réapparaissaient. Les vignerons ont grand intérêt à se former pour être en capacité de déceler les faiblesses de leurs murs, d’intervenir ou de faire appel au murailler pour réparer une brèche. L’authenticité et la beauté de leurs vignes attirent un tourisme culturel et gourmet, pour lequel ils sont fiers de souligner leur souci de protection du patrimoine. Par ailleurs, dans leur quête permanente d’attractivité et de concurrence économique, les collectivités territoriales oublient que les vecteurs de développement de leur territoire sont liés aussi à ce qu’il est capable de capter. Cadre de vie, qualité de vie, gestion vertueuse et économe de l’espace vis à vis de l’environnement, sont des ingrédients essentiels pour une recette gagnante et des retombées économiques. Une expertise internationale : savoir-faire, convictions et passions, mutualisés au service de la pierre sèche Si au départ, l’homme a apprivoisé son milieu naturel, la mise à disposition de machines et de produits industriels l’a propulsé dans une conquête effrénée, faisant table rase des pratiques ancestrales. Cette surconsommation est compromise aujourd’hui. Une prise de conscience des limites puise dans la réappropriation de ces savoir-faire oubliés, une approche innovante. La pierre sèche profite de cet éveil : l’orientation « produire autrement » en utilisant mieux les ressources locales, concerne au plus haut point les acteurs de la pierre sèche que nous représentons. Depuis bientôt 30 ans, sur plusieurs continents – Europe, Australie, Afrique du Nord, Amérique du Nord – dans plusieurs disciplines, les précurseurs se regroupent en biennale et échangent inventaires, méthodes et savoirs pour sauvegarder ce patrimoine vernaculaire, paysager et immatériel. Cette coopération réunis praticiens, chercheurs, institutions et territoires. Ainsi, en renouant avec cette technique, les Règles de l’Art ont été rédigées approuvées par plusieurs tèses de Doctorat d’ingénieurs, un Manifeste argumenté a été collégialement validé, une filière professionnelle s’est régénérée, une commande s’exprime et s’oppose aux techniques normalisées pour encourager ce choix alternatif, mais pourtant approuvé, par des siècles d’usages aux quatre coins du monde. L’acculturation des donneurs d’ordres, en passant par celle des assureurs, des bureaux de contrôles techniques et jusqu’aux enseignants, est un de leur fer de lance. Car seule la connaissance apportée aux secteurs du bâtiment, des routes, de l’agriculture, de la gestion des eaux dans les bassins versants, donnera raison et confiance à ce système constructif traditionnel. Les membres de notre Société scientifique internationale pluridisciplinaire pour la pierre sèche (SPS) estiment que l'usage d’autres modes constructifs que le béton, et notamment la pierre naturelle, doivent désormais être réhabilités, voire inventés. Nous constatons, en France, combien la méconnaissance du matériau pierre et de ces techniques, freine considérablement leur usage. Pour ce faire, il est impératif que la pierre naturelle puisse d’une part, être à nouveau enseignée comme matériau du futur dans le secteur du bâtiment - écoles d’ingénieurs, écoles d’architecture, Centre de Formation d’Apprentis (CFA) du bâtiment - mais d’autre part, les valeurs des ouvrages en pierre sèche, doivent être également étudiées dans le secteur de l’agriculture, de la forêt, des paysages et de l’environnement. C’est pourquoi, l’expertise de notre réseau est à disposition pour introduire la pierre sèche dans les politiques de protection ou d’aménagement des paysages. La pierre sèche : un allié incontournable à inscrire et prescrire dans les sites culturels du patrimoine mondial ![]() Tandis que certains paysages sont d’une beauté particulière, non signalée, comme ces murets qui serpentent dans le Jura, ces enclos tirés au cordeau qui trament l’île de Minorque aux Baléares, ou comme ces terrasses viticoles qui escaladent les pentes accidentées de la confluence du Rhin avec la Moselle en Allemagne, d’autres reçoivent les honneurs de l’UNESCO : Cinque Terre et Côte Amalfitaine, Italie ; Haut Douro, Portugal ; Lavaux, Suisse ; Sierra Tramontana, Majorque. Pour autant, si leur labellisation s’est construite sur l’authenticité de leurs terrasses soulignées par la pierre sèche, curieusement rien n’exige l’entretien de ces murs et leur restauration à l’identique. A y regarder de près, en parcourant ces sites d’exception, nous avons constaté avec tristesse combien, cette absence de notification dans le cahier des charges de ces sites, concourt au remplacement de ces ouvrages, voire à leur disparition pure et simple. Aussi, nous souhaiterions que la pierre sèche, ses ouvrages et son savoir-faire, soient reconnus et cités comme des ressources locales à promouvoir : 1. dans les politiques agricoles et environnementales mises actuellement en œuvre. La pierre est un matériau naturel, extrait à proximité ou de réemploi. Bâties à sec, ces maçonneries sont adaptées au terrain et intégrées au paysage. Elles favorisent une terre saine propice à la culture bio. 2. Dans le cahier des charges d’entretien des grands paysages. Notre Société scientifique internationale pluridisciplinaire pour la pierre sèche (SPS) sait à quel point collectivement on est plus fort pour aider au maintien, à l’avancement et à la diffusion de bonnes pratiques. C’est pourquoi : - Constatant que le patrimoine en pierre sèche est toujours menacé de destruction, non seulement par l’absence d’entretien mais encore au nom des contraintes économiques évaluées sur la seule notion de coût d’investissement, et non sur la durée de vie globale et la durée de service des ouvrages, - Considérant que la disparition de ce savoir-faire immatériel aussi bien que de ces ouvrages drainants constitue un appauvrissement des savoirs et une incohérence avec l’exigence de pratiques durables, dans une échelle humaine et en respect de notre planète, laquelle n’est pas renouvelable, - Considérant que la protection de ce patrimoine à l’échelon national serait enrichie des savoirs des expériences et des apports d’autres continents que ceux déjà présents dans son réseau, - En conséquence, elle s’autorise à solliciter l’ICOMOS pour concevoir une convention, des recommandations et des résolutions internationales, en faveur du petit patrimoine rural en pierre sèche - murs de clôtures, soutènements, chemins de randonnées, routes touristiques, jardins remarquables ou jardins ouvriers, domaines agricoles…- . Une telle démonstration aurait valeur de caution scientifique et morale. Elle démontrerait l’importance que présente, pour tous les peuples du monde, la sauvegarde de ces ouvrages irremplaçables à quelque peuple qu’ils appartiennent. Bibliographie Collectif. France. 2008. Guide de bonnes pratiques de construction de mur de soutènement en pierre sèche ISBN: 2-86834-124-1. Collectif. France. 2008. Pierre sèche ISBN : 978-2-916073-29-3 Depuis le 24 décembre 2015 murailler est inscrit comme spécialité de maçon du patrimoine dans la liste nationale des métiers d’art au Répertoire des Métiers ( JO du 31 janvier 2016). La candidature transnationale du savoir-faire de murailler au patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO fera l’objet d’une discussion entre la France (Sylvie GRENET ministère de la Culture), la Grèce et Chypre au prochain congrès international de la pierre sèche qui se tiendra à Céphalonie en septembre 2016. | |