Castellane, la chapelle Saint-Thyrse de Robion (Alpes-de-Haute-Provence) Le contexte historique et archéologique
Mathias Dupuis, archéologue
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dossier
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L’occupation du site sur lequel est implantée l’église Saint-Thyrse semble remonter à la période antique. La Carte archéologique de la Gaule mentionne ainsi une nécropole et un site antique à proximité de l’église 3. Le territoire de Robion a fréquemment livré des monnaies romaines et des débris de tegulae et la route reliant Castellane à Comps reprendrait le tracé d’une voie antique 4. On remarquera en outre que le soubassement d’autel de la chapelle est peut-être formé par le remploi d’un cippe, conformément à une pratique assez usuelle en Provence 5.
Le territoire de Robion est évoqué dès le XIe siècle dans le Cartulaire de Saint-Victor de Marseille : il est fait mention, vers 1045 d’un rappel des biens donnés à Saint-Victor dans le territoire de Castellane, parmi lesquels est évoquée une manse donnée in Rubione. Plusieurs lieux de culte marquent le paysage environnant. Hormis Saint-Thyrse, la chapelle Saint-Trophime, semi-rupestre, est implantée dans une anfractuosité de la montagne de Robion et domine les lieux à plus de 1350 m d’altitude. Elle est mentionnée comme cella sancti Trophimi en tant que possession de Saint-Victor de Marseille dès 1079 6. Sa situation semble liée à la présence d'un habitat fortifié au pied de la montagne, dont on perçoit encore les traces dans la végétation 7. La chapelle du Bourguet (Var), désormais placée sous le vocable de Sainte-Anne et anciennement de Notre-Dame, était desservie par le même prieur que Saint-Thyrse 8. Il s’agit d’un édifice roman, dont la construction remonte au XIIIe siècle 9. Les plus anciennes mentions de l’église Saint-Thyrse remontent aux comptes de décime du XIVe siècle (ecclesia Sanctii Tyrsii en 1300 puis ecclesia de Sancto Turcio en 1376) 10. Les seuls renseignements précis sur l’état de l’édifice antérieurs à la seconde moitié du XXe siècle sont fournis par les procès-verbaux de visite de l’évêque de Senez, dont dépendait la paroisse de Robion. Les pièces les plus anciennes remontent aux visites de l’évêque Jean Soanen en 1697, qui trouve alors l’église en assez mauvais état 11. Des travaux de restauration sont en cours en 1703 12. Le procès-verbal du 15 mars 1722, dressé sous l’autorité du même évêque, fait état d’une église et d’un clocher bien réparés 13. En 1748, la paroisse est transférée à l’église Notre-Dame, située dans le hameau de Robion 14. L’église Saint-Thyrse devient alors simple succursale, mais continue à être entretenue, comme en témoigne la visite de l’évêque Jean-Joseph-Victor de Castellane-Adhémar en 1788, qui confirme que « la nef de l’église est bien blanchie, la voute est en bois et le toit a été nouvellement réparé » 15. Un procès-verbal d’estimation des biens nationaux, dressé le 1er Germinal de l’An III (21 mars 1795), nous apprend que le couvert de la chapelle est en mauvais état 16. En 1832, un courrier du prêtre desservant adressé à l’évêque de Digne (le diocèse de Senez a été rattaché à Digne après 1790), indique que les chapelles Saint-Thyrse et Saint-Trophime sont « peu décentes pour qu’un prêtre puisse y exercer en toute sureté de conscience le saint et redoutable ministère. Les autels y sont dégradés les murailles ont perdu leur crépissage il seroit bien ce me semble qu’elles fussent interdites jusqu’à réparation... » 17. Les procès-verbaux de visites pastorales de la fin du XIXe siècle ne donnent guère d’informations supplémentaires, si ce n’est que la chapelle est signalée en mauvais état en 1870, puis qu’elle est assez convenable et a été réparée en 1893 18. D’après une enquête sur les lieux de culte réalisée au tout début du XXe siècle, Saint-Thyrse est une chapelle rurale « où l’on y célèbre trois messes par an, et on y fait le service funèbre pour les quartiers éloignés, le cimetière conservant toujours sa fonction » 19. | |
3 G. Bérard (dir.), Carte Archéologique de la Gaule, Les Alpes de Haute-Provence, Paris, 1997 p. 121. 4 Ibid. 5 Y. Narasawa, Les autels chrétiens du sud de la Gaule (Ve-XIIe siècles), Brepols, 2015, p. 115. 6 En 1703 l’évêque de Senez Jean Soanen fait consigner les observations suivantes dans un procès-verbal de visite à Saint-Thyrse : « Les gens du lieu croyent que cette eglise a autrefois appartenu aux templiers, qu’alors le village etoit au pied du mont, l’office se faisoit dans la chapelle St Trophime pres de laquelle il y a plusieurs vestiges d’edifices : que les habitants etant descendu plus bas après les guerres d’alors, et trouvant l’eglise de st Thirs vacante y firent le service » (ADAHP, 2G18). 7 Voir F. Gallice, Rapport de prospection diachronique, commune de Castellane, juillet-octobre 1994 (OA n°4157), Service Régional de l'Archéologie, Aix-en-Provence, notice n°16. 8 D’après les visites de Jean Soanen : « Pour l’état spirituel quant au clergé nous avons justifié par nos archives que St Thirs martyr est le titre ecclésiastique de cette église, que notre Dame du Bourguet est dépendante de Robion, ou le Prieur faisait autrefois sa résidence oridinaire, que les deux églises ont toujours été unies et gouvernées par un même Prieur avec un curé amovible comme il est prouvé par les visites de Mr Clausse en 1570 et 1583 et pareille de Mr Martin en 1602 et 1606... » (ADAHP, 2G18). Le terme de prieur utilisé dans ce document indique une certaine ambiguïté dans le statut de Saint-Thyrse : s’agirait-il d’un ancien prieuré rural par la suite dévolu à la fonction exclusive d’église paroissiale ? 9 Y. Codou, Les églises médiévales du Var, Mane, 2009, p. 84. 10 J. Thirion associe à cette église la mention d’une église Saint-Thyrse dans une charte de l’abbaye de Cluny en 909, donnée dans une villa avec diverses dépendances aux confins du pagus de Riez (J. Thirion , Alpes Romanes, La-Pierre-qui-Vire, 1980, p. 245-246). J. Cru fait le même rapprochement dans son ouvrage sur l’histoire des gorges du Verdon (J. Cru, Histoire des gorges du Verdon : du Moyen Âge à la Révolution, Aix-en-Provence, Moustiers-Sainte-Marie, 2001 p. 73-74). Néanmoins, d’après J.-P. Poly, cette mention serait plutôt à rapprocher de l’ancien vocable de l’église Saint-Apollinaire située sur la commune de Puimoisson (J.-P. Poly, La petite Valence, les avatars domaniaux de la noblesse romane en Provence, Saint-Mayeul et son temps, Digne, 1997, p. 137-181). 11 « ... avons remarqué une fissure dans le presbytère de ladite église toute ouverte et le toit de l’église rompu et en quelques endroits dépravé...» (ADAHP, 2G17). 12 « Pour l’etat extérieure de l’église de St Thirs nous l’avons trouvé toute embarassée par les massons qui la reparoient de tous cotez ». Plus loin : « Quant aux nefs et cimetières des deux eglises pour les deux communautes, nous ordonnons aux habitants de Robion de reparer leur clocher qui en a fort grand besoin et qui a été oublié mal a propos dans leur prix fait, d’acheter une clochette pour accompagner le st sacrement chez les malades, et de bien entretenir la réparation du toit et du sol qui vient d’etre fait » (ADAHP, 2G17). 13 «... L’eglise de St Thirs est bien réparée, le tableau et la tabernacle bons, crucifix beaucoup trop petit, pierre d’autel suspecte, bon marchepied, belle grille de fer, et tout le sanctuaire en bon etat, excepté quelques carreaux a la vitre, et quelques tuiles a son toit, le clocher bon et bien réparé avec deux cloches... » (ADAHP, 2G18). 14 Le procès-verbal de visite de 1788 indique que « le service paroissial avoit été transféré depuis environ 40 ans par Mr de Vocance, un de nos prédécesseur... » (ADAHP, 2 G 19). 15 Ibid. 16 ADAHP, 1O385. 17 ADAHP, 2V75. 18 ADAHP, 2V87 et 2V94. 19 ADAHP, 2V73. |
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